Traduction de l’article paru dans la revue
“Oh temps, suspends ton vol !”, on serait tenté de le répéter, car c’était comme hier lorsque nous sommes arrivés à la conclusion, début 2004, qu’il serait préférable que les témoins néerlandophones de notre passé africain volent de leurs propres ailes. Cette décision commune était le résultat d’une de nos discussions chaleureuses avec notre regretté ami, l’administrateur délégué de l’époque, Georges Lambert.
Cela fait désormais partie de notre histoire, mais il est bien ainsi que Mémoires du Congo a comporté, au cours des premiers mois de son existence, une aile néerlandophone. A vrai dire, c’était plutôt l’œuvre d’un seul homme, un travailleur infatigable aux talents multiples, Cyriel Van Meel, qui était parvenu à réaliser, en quelques semaines de temps, plusieurs dizaines d’excellents enregistrements de témoins de l’époque coloniale. Aussi, ceux-ci sont venus constituer le premier trésor de l’asbl Afrikagetuigenssen, qui fut tenue sur les fonts baptismaux le 26 mars 2004.
Il semble bien que la naissance de cet alter ego de MdC soit intervenue sous une constellation favorable car les affaires ne tardaient pas à aller aussitôt bon train. Des relations humaines des plus cordiales, le bouche à bouche, mais surtout cette sorte de feu sacré qui tient ensemble tous ces anciens amis du Congo fit merveille.
L’assistance et l’amitié réciproques avec l’association sœur, de deux ans son ainée, était un atout précieux. Dès le début, elles étaient représentées réciproquement dans les conseils d’administration respectifs. Mieux encore, depuis quelques années, le soussigné a été invité à assumer la vice-présidence de MdC. Conjointement aussi, les deux associations ont reçu l’agréation du Musée d’Afrique centrale à Tervuren.
Le premier objectif de notre activité relève de l’historiographie, à savoir un exercice d’histoire orale. C’est ainsi que quelque trois cents témoignages et interviews audio-visuels ont été enregistrés, transcrits et analysés par nos bénévoles. Ces souvenirs ainsi collectés ont entretemps trouvé le chemin du Musée, non sans avoir été décortiqués en une immense mosaïque de 12.577 séquences, qui furent cataloguées selon 178 thèmes couvrant tous les aspects de la vie et du travail en Afrique. En outre, plus de 400 documents ont été collectés, comportant des souvenirs écrits, des photos et des films.
L’ambition claire et nette était de conserver, à l’intention des générations futures, une image objective de ce que fut réellement la vie de tous les jours sous les tropiques, un travail qui est ainsi mis à la disposition de la recherche scientifique. Ce travail implique en même temps une tentative en vue d’amener nos compatriotes à une meilleure compréhension des conditions d’existence spécifiques, des difficultés et des défis que comportaient cette existence et la symbiose de cultures à ce point dissemblables.
L’adage que bon vin ne peut mentir a toujours inspiré notre action. L’époque coloniale appartient désormais à l’histoire, mais ce qui reste est l’engagement, le dur labeur, l’application et le talent dont tant de compatriotes ont fait preuve dans le but d’oeuvrer au développement de ce merveilleux pays où la vie s’était arrêtée depuis 2000 ans et où il restait une tâche immense à accomplir.
N’était-il pas un devoir élémentaire de mettre en lumière, à l’intention de nos générations futures, les réalisations impressionnantes intervenues en peu d’années sous l’administration belge ? Il n’est pas question, à ce propos, de complexe de supériorité, ni de triomphalisme, ni de forfanterie. Au contraire, n’avons-nous aucune peine à constater, rétrospectivement, qu’à côté de tant de brillantes réussites, de précieuses occasions sont restées sans suite utile. Qu’il nous soit permis de regretter aussi que la soif d’émancipation rapide des colonisés n’ait pas été prise en compte plus rapidement.
Enfin et surtout, au fil du temps, il nous est apparu que nos activités ne sont pas purement rétrospectives. Il appert, en effet, que la mise en lumière des apports belges à la société africaine est bénéfique à l’appréciation réciproque des liens culturels qui se sont tissés entre les deux communautés au cours du siècle passé.
Ensemble, nos associations, la francophone comme la néerlandophone, caressent l’espoir de fournir une contribution à une prise de conscience du fait que la présence belge au Congo a été bien plus qu’un bref moment fortuit dans l’histoire de nos deux pays. Quelque modeste que puisse paraître cette contribution à la compréhension de ces liens particuliers, elle constitue un vif encouragement à poursuivre nos efforts.
Guido Bosteels
Président de Afrikagetuigenissen