Revue 30 – Dirk Teuwen entame la lutte contre l’épilepsie dans les pays en voie de développement

Traduction de l’article paru dans la revue

Tiré du magazine TERTIO daté du 26 février 2014

 

Dirk Teuwen entame la lutte contre l’épilepsie dans les pays en voie de développement

“Redonner santé et vie à nos semblables qui sont malades ”

Le médecin Flamand Dirk Teuwen s’attaque, au nom du groupe pharmaceutique UCB, à l’épilepsie dans les régions pauvres, où la stigmatisation de la maladie entraîne l’exclusion sociale. En partageant leur savoir-faire, ces projets redonnent ainsi aux patients non seulement la santé mais aussi une existence digne.
Témoignage d’un baroudeur professionnel passionné, qui puise sa force dans deux sources particulières: sa famille et la foi.

Joris Delporte | Queuing for coffee again? Dans le centre neurologique belge d’UCB à Anderlecht, on semble s’exprimer en anglais. Les nombreux visages aux allures quelque peu exotiques autour du distributeur de café, sont un beau reflet de la diversité au sein de ce groupe pharmaceutique. Avec les quelque 70 nationalités représentées parmi les 9.000 membres du personnel de par le monde, la diversité philosophique est également une réalité. Dans cette mosaïque d’obédiences, Dirk Teuwen, en chrétien convaincu, fait figure de force motrice derrière le programme d’entrepreneuriat éthique. “La foi offre de quoi alimenter les discussions dans une société de cette envergure, surtout lors des déplacements”, constate le médecin. “Et pourtant, mon inspiration religieuse suscite surtout beaucoup d’ouverture. Ainsi, notre patron de Strasbourg m’a récemment accompagné chez les Frères de la Charité à Lubumbashi. Il est intarissable quand il parle de leurs magnifiques laudes. »

Vous êtes Vice-President Corporate Societal Responsibility chez UCB. Quelle est votre tâche derrière ce titre ronflant?
“Je suis responsable de l’entrepreneuriat éthique. Dans le large éventail d’initiatives écologiques et de nature sociale, UCB opte spécifiquement pour les projets qui apportent une aide aux patients atteints d’épilepsie. Nous  mettons notre savoir-faire à la disposition de nos semblables dans les régions pauvres. Des médecins  et infirmiers étrangers reçoivent une formation  leur permettant de  poser un diagnostic précis.  Parallèlement à cette pure transmission de savoir, nous sélectionnons les enseignants qui pourront, par la suite, mobiliser leurs équipes médicales et qui ont des qualités de cœur. Notre philosophie implique que ce soit le médecin qui se rende chez le patient, et non l’inverse.

“La coopération au développement offre encore des possibilités d’une meilleure collaboration.”

D’où vient cette attention pour l’épilepsie ?
“Cette maladie peut heureusement être parfaitement traitée ici. Dans beaucoup de pays en voie de développement, les épileptiques ne sont cependant pas entourés des soins appropriés.  Des ‘médecins de village’ traditionnels se tournent vers des extraits de plantes ou autres envoûtements qui n’atteignent hélas pas leurs objectifs. Sans traitement, le risque de dommages cérébraux permanents est cependant grand. Les parents ou les convives n’osent pas les toucher pendant une crise. Qui plus est, à cause de  la stigmatisation entourant  la maladie, l’exclusion sociale est un spectre fréquent. Les écoles renvoient des enfants par peur d’ensorcellement ou de contagion.  Les adultes ne trouvent pas de travail ni de conjoint, parce qu’ils sont considérés comme possédés par le démon. D’autres se retrouvent même en prison. Grâce à un traitement, nous leur redonnons en plus

Au service des industries automobile et pharmaceutique

Fils de mineur originaire du Limbourg, Dirk     Teuwen(1954) entame des études de géologie à Leuven, après avoir travaillé     d’abord chez Ford Genk. Il satisfait ainsi les attentes de ses parents,     mais il rêve de faire médecine. Il combine pendant un temps les deux     formations. Mais devant l’échec de cette stratégie, il échange son     existence d’étudiant pour aller travailler chez un libraire de Leuven.     «Lorsque la fermeture de Ford Genk a été annoncée, cela ne m’a pas laissé     indifférent ». « Je dois beaucoup à cette entreprise », dit-il. « En     faisant régulièrement des horaires supplémentaires à pauses, j’ai lancé les     bases financières pour ma deuxième carrière universitaire, couronnée de     succès cette fois en médecine. »
Un monde     meilleur

En tant que jeune diplômé avec un passé dans     l’industrie automobile nationale, Teuwen décroche “par hasard” un emploi     dans une autre industrie: celle du monde pharmaceutique.  Des préjugés sur les intentions des     médecins qui s’engagent dans ce secteur, ce père de 4 enfants les trouve     infondés. « Une grande majorité de mes collègues s’avère  être aussi préoccupée de la santé des     patients que le sont les médecins généralistes et les spécialistes. En     restant fidèle à son inspiration, il est parfaitement possible d’œuvrer     pour un monde meilleur dans ce monde concurrentiel des entreprises.” (JD)

Braambos se rend dans les pas de Dirk     Teuwen chez les patients épileptiques et les Frères de la
Charité au Congo. Vous verrez ce     reportage de voyage spirituel dimanche sur Eén à 9h30.
La rediffusion sur Canvas     commence aux alentours de 00h50.

de la santé, une vie digne de ce nom.”

Cette problématique requière-t-elle aussi  une approche préventive?
“Absolument. Chez les enfants congolais atteints d’épilepsie, un accouchement difficile semblerait en être la raison principale pour un enfant sur cinq. Chez deux autres enfants sur cinq, ce sont des maladies infectieuses insuffisamment traitées ou évitées. Faites l’addition, et vous arriverez à la conclusion amère d’un problème qui peut être évité simplement avec de meilleurs soins de santé.”

Comment menez-vous concrètement la lutte contre cette maladie ?
“Notre terrain d’action se situe entre autres au Congo et au Rwanda. Nous collaborons sciemment avec des partenaires. Ainsi, nous allions nos forces à celles des Frères de la Charité à Lubumbashi et à Kigali. Leur infrastructure est excellente et ils ont des collaborateurs motivés. Nous optons aussi  explicitement pour un engagement durable. Un enfant congolais de 3 ans chez qui on diagnostique l’épilepsie, mérite un traitement long. C’est un droit auquel nous nous engageons absolument, si nécessaire ad vitam. Pour garantir ces soins dans le temps, nous soutenons des institutions étrangères, pour qu’elles soient autonomes à relativement court terme. Nous investissons à cet effet dans des structures et un planning financier. C’est une jeune collègue indonésienne qui s’y consacre. Le samedi, elle assiste à distance les Frères de la Charité avec la comptabilité et les tableaux de calcul. Elle le fait volontairement et gratuitement. Elle est l’exemple vivant de la manière dont des projets d’entrepreneuriat éthique se répandent parfois comme une tâche d’huile au sein d’une entreprise.”

Est-ce que ces projets de développement sont  « lucratifs » ?
« Je n’utilise pas ces termes. Des partenaires soutenus par UCB ne font pas de bénéfices. Mais ils tournent en l’équilibre financier et réinvestissent les résultats limités. Des faibles paiements que peuvent se permettre les patients, à peu près un dixième est sensé financer notamment les formations des médecins, et acheter du matériel administratif et médical. Pour des institutions, c’est la seule façon de devenir autonome. Une approche d’émancipation plutôt qu’une pure charité. Bien trop souvent, des projets caritatifs soutiennent la population africaine pendant un temps, et ensuite disparaissent sans donner de nouvelles.  C’est ce qu’on appelle le colonialisme moderne,  qui n’apporte rien à la population ».

Est-ce que, par extension, cette critique est valable pour tout le secteur du développement?
“Les acteurs dans ce secteur ne collaborent pas encore suffisamment. Les initiatives sont nombreuses, et toutes sont certainement très nobles. Et  pourtant, mon évaluation globale consiste à dire que beaucoup d’ONG passent à côté des opportunités.  Sur base de leurs convictions et leur propre cadre de référence, les coopérateurs au développement déploient des initiatives à toute petite échelle dans leur coin. Une concertation peut déboucher sur une vision et sur la confiance pour asseoir les initiatives sur de bonnes bases. »

Est-ce que certains acteurs du vaste terrain de coopération au développement vous regardent parfois avec méfiance?
“Malheureusement, oui. Lorsque je fais une proposition au nom d’UCB, certains s’attendent à ce que nous ayons automatiquement un but lucratif dans le projet. Ce qui n’est pas du tout le cas. Le médicament contre l’épilepsie n’est même pas mis sur le marché par nous dans ces pays, ou encore il est générique. La perception négative de l’industrie pharmaceutique est difficile à changer. Les préjugés sur notre secteur sont aussi injustes que coriaces » (voir encadré).

Vu toute la stigmatisation, les Congolais ne classent pas toujours l’épilepsie parmi les maladies neurologiques ; de ce fait, les patients se retrouvent indûment en psychiatrie. Quels sont, selon vous, les besoins de ce sous-secteur des soins de santé ?
“Les soins de santé mentale restent un terrain plutôt en friche ou inexploité dans notre ancienne colonie. L’accès à un diagnostic différencié s’avère extrêmement difficile. Les Frères de la Charité sont les seuls à apporter un soutien de facto aux patients psychiatriques. Mais à côté des soins de santé mentale, il y a un tas d’autres besoins, dont des draps, des matelas et même des ustensiles de cuisine. De plus, les médicaments sont très chers, étant donné que le stockage et le transport représentent un coût important ».

“Le médecin doit se rendre chez le patient, pas l’inverse.”

 UCB prodigue des soins aux patients épileptiques chinois. Est-ce que cette nation émergeante est encore dépendante d’une telle aide ?
“La réalité derrière ce miracle de croissance est plus complexe qu’il n’y parait dans la presse. Est-ce que nous ne nous aveuglons pas trop devant les gratte-ciel étincelants qui dominent la ligne d’horizon de Shanghai ou de Pekin ? Dans les quartiers populaires, les villages éloignés des villes, et dans les régions autonomes où habitent des minorités, la situation est bien moins rose. Spécifiquement pour ce qui est de l’épilepsie,  cette dualité de la société chinoise signifie que 90% des 10 millions de patients concernés ne reçoivent pas de traitement approprié. Tout comme en Afrique, la république populaire entretient aussi des préjugés sur cette maladie. Cela explique en partie que les plans quinquennaux n’ont jamais accordé d’attention au traitement de ces patients.  Un changement se dessine tout doucement, depuis que des chercheurs ont prouvé l’importance des dégâts économiques causés par leur exclusion. »

Quel projet avez-vous monté en Chine?
“Là aussi, nous mettons l’accent sur la formation. Dans les régions autonomes, les médecins de village ont souvent reçu une formation accélérée en tant qu’infirmiers ou infirmières. Leurs connaissances médicales présentent donc des lacunes. C’est pourquoi nous proposons à ces médecins des provinces de Xinjiang et Xizang une formation intensive de deux semaines, suivie d’une étude complémentaire à domicile.”

Est-ce que, vous, personnellement, l’être humain derrière la maladie vous inspire?
“Bien sûr. J’ai, par exemple, été très touché par l’histoire d’une femme congolaise. Malgré tous ses talents et un diplôme attrayant, elle ne trouve pas de travail dans sa petite ville minière près de la frontière zambienne. Elle doit se débrouiller avec des béquilles à cause de sa polio, et pour comble de malheur, l’école renvoie sa nièce après une première crise d’épilepsie, par peur d’une contagion. Pendant la messe, elle apprend qu’une unité mobile des Frères de la Charité vient dans le dispensaire local. Le traitement ne se fait pas attendre, et l’enfant ne présente plus de symptômes aujourd’hui. La guérison de sa nièce inspire cette dame pour remplir un rôle d’ambassadrice, et elle se met à parcourir la cité pour lever les préjugés sur cette maladie. En même temps, elle a déjà incité plusieurs autres petits patients à se rendre à la consultation.  Un témoignage profondément humain, de surcroît avec une inspiration résolument chrétienne. ”

“La force de notre conviction se cache résolument dans le témoignage.”

“Nous préférons partager la connaissance plutôt que de faire du caritatif pur », raconte Dirk Teuwen (dr). © braambos

Comment la foi inspire-t-elle vos engagements?
“Pendant un séjour à Kinshasa, je participe systématiquement aux laudes, les prières de l’aurore, chez les Frères de la Charité. Grâce à ce moment matinal d’intériorisation, j’entame bien ma journée. Dans  d’autres lieux, je trouve un moment de méditation avec mon livret de psaumes qui m’accompagne partout. Il m’est déjà arrivé de fêter l’Eucharistie dans les lieux les plus inattendus. C’est ainsi que j’ai été amené à la messe à Téhéran, grâce à un contact cordial avec le Ministre de la Santé de l’époque, juste après la révolution iranienne. Une illustration de l’accueil tolérant et ouvert qui est réservé aux chrétiens lorsqu’ils répandent leurs convictions humblement mais avec sincérité. La force de notre foi se cache résolument dans notre témoignage. ”

Est-ce que votre famille représente aussi une source de force?
“Mon épouse et mes enfants soutiennent inconditionnellement mes initiatives. Leur soutien est indispensable, surtout à cause de mes absences nombreuses, imprévisibles et de longue durée.”

Votre première épouse est décédée des suites d’une longue maladie. Est-ce que dans ce chemin de souffrance vous ne vous êtes jamais écarté de la voie de la foi ?
“Feu Herman Servotte (voir Tertio n° 728 du 22/01) nous a aidés à l’époque à rester dans le droit chemin.  Grâce à des entretiens profonds avec ce prêtre-professeur, notre foi n’a fait que s’ancrer plus profondément pendant les moments de crise personnels.  L’Evangile de Luc et la parabole du fils prodigue nous ont apporté une consolation à mon épouse et moi-même. Il est évident que la perte de son épouse amène des moments de grand doute. Mais je sais que notre au-revoir  ne constitue pas un point final. Elle est partie pour une autre destination, mais je ne doute pas un instant de son arrivée à bon port.”

“La foi  ne fait que s’ancrer plus profondément pendant les moments de crise personnels.”

Vous participez à des vacances en famille pour croyants à Chandolin. Quelles nourritures spirituelles trouvez-vous dans les montagnes suisses ?
 “Cette initiative de l’évêché de Gand donne une paix, une confiance, et la force de continuer son chemin. Je trouve leur offre de formation et de réflexion d’une qualité particulièrement élevée, avec entre autres des interventions du théologien de pastorale Marc Steen. La  solidarité entre les participants est particulièrement forte aussi. Une de mes filles, par exemple, a pu franchir une montagne malgré un problème orthopédique, grâce à des jeunes de son âge qui l’ont poussée jusqu’en haut.  La garde des enfants est taillée sur mesure, et leur accompagnement est franchement exceptionnel. Personnellement, je vis tous les contacts avec des compagnons de foi engagés, comme très rafraîchissants.  Mes tâches quotidiennes  évoquent l’étonnement dans certains milieux, mais à Chandolin, tout le monde trouve un tel engagement absolument normal.”