Revue 32 – Opérations Dragon rouge et Dragon noir

Traduction de l’article paru dans la revue

L’histoire de l’adjudant-chef o.r. O. Braeckman

 En novembre 1964, j’ai été assigné en tant que sergent para-commando fraîchement émoulu à la 12e compagnie, peloton B.  J’avais comme commandant de compagnie le Capitaine Raes, et comme chef de  peloton le Sous-lieutenant Van Baelen. Ma section n’était entrée en fonction que depuis 5 mois, et à cette époque elle n’avait encore que 5 sauts à son actif. La compagnie comptait environ 111 hommes, dont 27 seulement étaient militaires de carrière  (10 officiers, 14 sous-officiers et 9 volontaires de carrière (caporaux).

Début novembre, nous étions conscients qu’il y avait des « matatas» au Congo, et qu’une colonne de mercenaires du Colonel Vandewalle marchait sur Stanleyville. Mais nous ne pensions pas du tout y être confrontés… jusqu’à ce 16 novembre, où nous avons été réveillés à minuit au son du clairon par le 1er  Sergent Lambrechts. Je disposais de deux heures pour me préparer, mais il ne pouvait pas me dire dans quel but. Comme d’habitude, ma femme m’a préparé quelques tartines à l’omelette : ma femme était « la femme » dont un commando avait besoin : même si elle paniquait, elle ne l’a jamais montré.

J’ai encore écrit une lettre à la hâte à mes parents pour éviter la panique: je leur ai dit que j’étais à la maison et qu’il ne se passait rien. Ma femme la leur a postée trois jours plus tard, ils m’ont donc cru.

Vers trois heures, on est venu me chercher: nous ne savions rien de notre mission, et ce n’est qu’en décollant de Kleine-Brogel que nous avons appris que nous allions intervenir à Stanleyville.

Le 19 novembre nous étions donc en route pour l’île d’Ascension, où nous avons été mis ou courant de la mission à exécuter. On n’a pas reçu une formation bien étendue là-bas, surtout beaucoup de théorie et pas question de saut en parachute, il fallait charger et décharger ces grand avions C130. Nous n’y sommes d’ailleurs restés que 2 jours. Petite anecdote : nous savions donc désormais où nous allions, mais pendant l’un des briefings on nous a dit que l’ennemi comptait 10.000 hommes (nous étions une force d’environ 800 hommes) … OUPS !!

Deux jours plus tard, nous étions en route pour la base aérienne de Kamina, qui est devenue notre base de départ. Encore quelques jours de préparation, et le 23 novembre nous avons décollé en direction de Stan, “équipés” (c.à.d. avec deux parachutes, sac à dos, armement et munitions) et prêts à sauter sur l’aéroport de Stanleyville. Un moment de sourire : pendant le vol, un de mes hommes m’a demandé; “Dites, Sergent, si on saute ici, ça va compter pour notre brevet?” J’avoue que j’avais d’autres soucis en tête, ma première priorité était de les sortir tous vivants de cette mission !! Les hommes de ma section se sont comportés tout simplement de manière « exemplaire », je ne les avais jamais vus aussi disciplinés, absolument pas de panique, plutôt inconscients de ce qui les attendait peut-être.

Pendant le vol, on nous a fait savoir que les premiers parachutages s’étaient bien passés, de sorte qu’il n’y avait plus de saut au programme pour nous, mais un atterrissage précipité. Dès que nous avons mis pied à terre, rassemblement en vitesse, et progresser en direction de la ville, où nous devions libérer de toute urgence des otages en situation difficile. On nous a donné l’ordre de prendre d’assaut un grand bâtiment qui abritait peut-être des otages : arrivée sur place, la compagnie fut mise en “all round defence” et le bâtiment encerclé. Nous avons immédiatement commencé à prendre d’assaut notre objectif, action qui s’est déroulée dans des fusillades en tous sens. Au bout d’une heure ou deux, ça avait déjà l’air plus sécurisé pour nous, et nous avons pu constater qu’il n’y avait pas de prisonniers à l’intérieur. Nous avons reçu l’ordre de nous replier et de former un large cordon de défense autour de l’aéroport, mais nous avons constaté que, dans cette zone, il y avait un hôpital qui devait évidemment d’abord être purifié.

Je fus sorti du dispositif avec ma section à ce moment-là, pour procéder à la purification de trois maisons suspectes, qui représentaient un danger pour notre sécurité. Quand on a entamé l’opération de purification, je me suis rendu compte qu’il était dangereux d’y faire participer mes hommes. Je les ai disposés en bouclier de protection autour des maisons et j’ai fait la besogne moi-même: il y avait une trentaine de gens, complètement paniqués, mais les simbas avaient pris la fuite. Il faut savoir que purifier une maison requiert une certaine formation que mes hommes n’avaient pas encore à ce moment-là. Je peux vous assurer que mes hommes ont livré du très bon boulot.

Au bout d’une heure, j’avais fini le travail, et nous pouvions reprendre notre place dans l’organisation et commencer la purification de l’hôpital. Il y avait des tirs dans tous les sens: quatre mulelistes ont été tués, mais aucun blessé parmi nous. On a quand-même eu beaucoup de chance: à un moment donné pendant la purification, je me suis retrouvé dans une embrasure de porte, une balle a fait éclater le chambranle de porte, à quelques centimètres seulement de ma tête, un vrai coup de bol ! Par la suite, notre 12e compagnie a été chargée de la sécurité de l’aéroport et de l’hôpital, que devait être prêt à exécuter des opérations et des soins à nos hommes le cas échéant.

Pendant la nuit, ça s’est calmé, et nous avons entendu que la 12e compagnie était en train de se replier. En effet, à l’aurore, le cordon de défense fut levé dans l’après-midi et nous avons embarqué en direction de Kamina, où nous avons été remis en situation de paix. J’étais en effet à la recherche de caisses à la base, pour y entreposer les munitions non utilisées. En quittant le local, un officier nous a interpellés en nous demandant ce qu’on faisait là. Je lui ai donné quelques explications à propos des caisses, et on a pu partir tout simplement.

Ce dernier séjour m’a donné l’occasion de faire brièvement la connaissance du Colonel Schramme, dont j’ai entendu par la suite qu’il était le commandant des soi-disant “Affreux”.

A notre retour à Bruxelles, nous avons été reçus triomphalement par la population, avec un accueil du Roi et un défilé dans les rues de Bruxelles. Nous n’oublierons pas de sitôt Stanleyville 1964 ! Dommage que d’autres interventions aient suivi, avec toutes les souffrances qu’elles ont entraînées.