DEMYTHIFIONS LUMUMBA

Carte blanche de Robert Devriese (mars 2018)

La Belgique serait-elle blâmable pour être la seule puissance coloniale à ne pas vouloir honorer les hommes d’Etat de son ancienne colonie ? Mais, y a-t-il un seul homme d’État congolais ou un combattant de la liberté qui mériterait un tel honneur en Belgique ? Disons-le d’emblée, Patrice Lumumba, le seul qui semble venir à l’esprit de certains, ne devrait même pas figurer sur une liste de prétendants à ce titre, s’il était seulement possible d’en établir une.

Retenir Patrice Lumumba parce qu’il serait le père de l’indépendance du Congo ? Rendons à César ce qui revient à César. Le premier à la solliciter, et à l’obtenir, n’était pas Lumumba mais bien Joseph Kasa-Vubu.

Qu’est-ce qui explique donc ce véritable culte que de nombreux Congolais et même des Belges semblent vouer à Patrice Lumumba ? Et, cette vénération, est-elle justifiée ?

Le discours offensant envers les Belges que Lumumba prononça le 30 juin 1960 au Parlement congolais,  lors des cérémonies de l’Indépendance et surtout son assassinat en ont fait un martyr, un héros et un mythe ! C’est à ce titre seulement qu’il est vénéré.

Mais soyons clairs. Rien ne peut justifier le sort effroyable qui lui fut réservé ainsi qu’à ses compagnons d’infortune. Toute personne, quels que soient les crimes commis, a droit à un procès équitable. Et si tel avait pu être le cas, Lumumba aurait sans nul doute été condamné à mort pour le massacre de milliers de Congolais au Kasaï et au Katanga.

Du point de vue légal et politique, son assassinat fut une erreur monumentale.

Même s’il n’avait pas commis les crimes passibles de la peine de mort, il aurait été éliminé démocratiquement bien avant la fin de son mandat pour son impéritie.

Ironie du sort, ce sont les responsables directs de sa mort qui en ont fait, pour s’en dédouaner, un mythe et, comme tous les mythes, celui-ci est bien plus tenace que l’Histoire. Mais que cela ne nous empêche pas de passer son parcours  en revue.

Celui qui de prime abord semblait être destiné à devenir un homme d’Etat de grande envergure, et pas seulement sur le plan  national, mais aussi au niveau  régional, comment a-t-il pu devenir le principal artisan du chaos dans lequel se trouve encore actuellement le Congo, près de soixante ans après l’indépendance ?

 Pourquoi donc Lumumba devrait-il être vénéré ?

Il n’était pas Le père de l’indépendance du Congo. Le premier à la solliciter, et à l’obtenir, était Joseph Kasa-Vubu.

On peut douter de son honnêteté. Employé à la poste de Stanleyville, il était condamné en 1956 pour détournement de fonds. On aurait pu y voir un acte de résistance à l’oppresseur colonial si ce n’est que ceux qui en ont fait les frais étaient surtout des épargnants congolais. Plus tard, par la falsification d’une déclaration de son rival Kasa-Vubu, il incitera les électeurs de l’Abako à rejoindre massivement le MNC.

Son attitude dictatoriale et ses promesses démagogiques délirantes, qui lui furent à juste titre reprochées par la plupart des membres fondateurs du Congo indépendant, précipiteront le pays dans le chaos. Désinvolte et dénué de scrupules, il sera même rapidement abandonné par les plus éminents de ses amis.

Son soutien politique dans le pays était loin d’être massif. Aux élections législatives de 1959, le MNC n’obtenait, non sans irrégularités, que 30% des voix. En province Orientale il obtenait la majorité absolue mais partout ailleurs les résultats s’avérèrent médiocres. A la Chambre il obtenait 41 sièges sur 137.

De par sa gestion chaotique, son improvisation au jour le jour, il perd rapidement le contrôle du pays. A peine est-il au pouvoir que les mouvements opposants, les syndicats et l’Eglise dénonçaient son incompétence. Plus des deux tiers des parlementaires de son parti finiront par publiquement se désolidariser de lui.

Ses réels talents d’orateur sont mal utilisés. Ses harangues varient radicalement selon le public. Bien que proclamant la non-violence, ses discours incendiaires et les folles espérances qu’il avait ainsi suscitées entraîneront des atrocités inouïes et la mort de centaines de Belges. Les discours dans lesquels il s’en prend à ses ennemis politiques provoquent des incidents partout dans le pays et entraîneront la mort de milliers de Congolais. Avec son charisme et son pouvoir de persuasion, il aurait pu faire cesser les exactions contre les Belges et contre ses concitoyens, mais il n’en fit rien.

Quand en août 1960, Albert Kalonji proclame la sécession du Sud-Kasaï, il ordonne une offensive contre Bakwanga. L’opération coûtera la vie à des milliers d’hommes, femmes et enfants, massacre qui sera qualifié de tentative de génocide par le Secrétaire général des Nations unies. Le principal responsable en était le chef d’état-major, le colonel Mobutu. Mais Lumumba, en tant que premier ministre et ministre de la défense, en portait au moins la responsabilité politique. Très certainement au courant des massacres, il ne fit rien pour les faire cesser, ni même les condamner. En prétendant qu’il ne pouvait pas savoir puisqu’il n’était pas au pays, un mensonge flagrant, il ne faisait que s’incriminer davantage.

Même après son décès, Lumumba doit être tenu responsable de la mort de milliers de Congolais et de centaines de Blancs lors des rébellions des années soixante. C’est en se revendiquant de lui et de son discours, que ses partisans se livrent alors aux tortures les plus odieuses dans les territoires qu’ils contrôlent et exterminent systématiquement  les intellectuels et tous ceux dont le niveau de vie dépassait tant soit peu celui de la population.

Par ignorance, ou sous la coupe d’idées tiers-mondistes, il sous-estimait l’importance de l’appartenance clanique. C’est peut-être là la raison principale de sa perte. Alors qu’il croyait être vu comme un Congolais, un nationaliste, il était en fait vu comme un Tetela. Moins d’une semaine après l’indépendance, c’est d’ailleurs lui que les mutins de la Force Publique, composée de fortes ethnies traditionalistes, veulent tuer.

De par son impétuosité il perd même son soutien international. Son mentor, Kwame Nkrumah (président du Ghana) le mettait en garde : « Si vous essuyez un échec, vous n’aurez à blâmer que vous-même …. Votre échec portera un coup terrible au mouvement de libération africaine …. Votre politique qui vise à vous débarrasser de vos adversaires dès maintenant, échouera …. ».

Epilogue et circonstances atténuantes

Prétendre que Patrice Lumumba ne serait en rien responsable de sa propre perte semble dès lors relever de l’amnésie.

Que des Congolais veuillent ériger des monuments à sa mémoire  ou rebaptiser des rues en lui donnant son nom, pour honorer un des pères de leur indépendance est compréhensible. Bien qu’on puisse se demander ce qu’en pensent les descendants de ses milliers de victimes.

Il n’est pas non plus exclu qu’en commémorant Lumumba, les Congolais essaient d’occulter leur responsabilité pour sa mort. Car ce sont bien des Congolais qui, délibérément, ont envoyé Lumumba dans un lieu où l’attendait une mort certaine.

On aura beau dire qu’il y eut des pressions extérieures, les Congolais étant alors indépendants, ils étaient seuls responsables de leurs actes.

Pour beaucoup de Congolais, son seul mérite est d’avoir été le premier Premier Ministre. Une primature qui aura été de fort courte durée mais néanmoins avec des conséquences dramatiques pour le pays.

Honorer Patrice Lumumba de quelque façon que soit en Belgique serait méconnaitre sa responsabilité indirecte mais indéniable pour la mort et la maltraitance de centaines de Belges.

Certes, la Belgique porte une « responsabilité morale » dans sa mort, tout comme du chaos dans lequel le pays fut plongé depuis son indépendance. Elle est responsable d’avoir accordé cette indépendance à la hâte, sans tenir compte de l’avis informé des autorités coloniales. Un processus de désengagement échelonné sur quatre ou cinq années aurait permis de ne pas abandonner la gestion du Congo aux mains d’une classe politique encore inapte à l’exercer. Avec quatre ou cinq années de courage de notre part et de patience de la part des Congolais, le Congo serait aujourd’hui un des, si pas le pays, le plus prospère d’Afrique.

Patrice Lumumba a été une victime de cet empressement totalement irresponsable. Mais il était également la victime de la guerre froide. Le mythe Lumumba était le symbole rêvé de la lutte des Tiers-mondistes contre l’impérialisme occidental.

Robert Devriese (mars 2018)