Ubuntu

Traduction de l’article de Guido Bosteels paru en néerlandais dans la  revue n° 53 du mois de mars 2020, page  52.

Le mot “ubuntu”, qui fait partie du vocabulaire de nombreux pays africains, est bien plus qu’un simple mot : c’est une notion qui, en fait, recouvre une certaine conception de l’existence.

En Occident, c’est en 2006 que ce terme a été actualisé par l’ancien président des Etats-Unis, Bill Clinton, lors d’un discours qu’il a prononcé devant le parti travailliste de Grande-Bretagne, dans lequel il  insista sur l’importance de cette notion d’ubuntu pour l’ensemble de notre communauté humaine.  « All you need is ubuntu », proclama-t-il.

Le terme ubuntu procède d’une vision africaine sur le monde, dont le sens peut se résumer à ceci : « Je suis qui je suis parce que toi tu es qui tu es », voulant dire ainsi que chaque individu a besoin des autres pour exister pleinement. « Imagine-toi que tu sois l’homme le plus beau, le plus intelligent, le plus riche, le plus puissant du monde », proclama Clinton, « mais si tu t’aperçois que tu es seul au monde, tout cela perd toute son importance ».

Ladite notion, connue en Lingala comme « bomoto » et en Kikongo comme « kimuntu », est en fait originaire de l’Afrique méridionale. Il y a le proverbe Zulu « « Umuntu ngumuntu ngabantu », dont le sens revient également à dire qu’un homme n’est homme que grâce à ses relations avec les autres hommes. On va ainsi dans le sens de l’idée selon laquelle tout homme forme un chainon dans une suite sans fin qui nous relie à la fois avec les générations qui nous ont précédées et à celles qui sont à venir. Il est clair que cela implique le respect des ancêtres, ce qui nous amène sur le terrain de l’animisme, qui demeure toujours un facteur substantiel de la pensée africaine.

Une fois adopté ce principe, il en résulte qu’il existe un lien solide entre les hommes : si quelqu’un réussit à améliorer son sort, son entourage est appelé à en bénéficier également, mais si quelqu’un a faim, tous se voient obligés d’assumer leur part dans sa détresse. Et à supposer que quelque chose prend mauvaise tournure, l’on conclura à une responsabilité collective, jamais individuelle. Quiconque possède une certaine expérience du mode de vie africain  n’y apprendra guère de nouveau.  Toutefois, il est notoire aussi qu’un certain risque de parasitisme pourra faire son apparition, étant donné l’évidente tentation, souvent dénoncée d’ailleurs, d’abuser des mérites  d’un parent qui a réussi à s’élever au-dessus de la moyenne. Nous devons constater aussi que pareille solidarité n’est pas dépourvue de liens ethniques, ce qui peut faire apparaître alors une étonnante passivité lorsqu’un mal frappe quelqu’un d’une autre ethnie.

Nous sommes loin de savoir, bien entendu, dans quelle mesure l’ancien président Clinton est conscient de l’écart qui sépare pareille philosophie existentielle de notre pensée occidentale qui, elle, repose sur la responsabilité individuelle, tout en poursuivant les principes chrétiens ou humanistes de solidarité. Il n’entre nullement dans nos intentions de critiquer les valeurs de la civilisation bantoue mais il est bon, toutefois, de ne pas perdre de vue la spécificité des conceptions qui nous sont propres.